L'interview d'Anastasia Mikova pour Akka

Sorti le 4 mars 2019 sur les écrans, Woman est un film hors normes,  co-realisé par Anastasia Mikova et Yann Arthus-Betrand. 2000 femmes interviewées dans plus de 50 pays, 5 000 heures de rush pour à peine deux heures retenues à l’écran. Ce documentaire est l’occasion de révéler au grand jour les injustices que subissent les femmes partout dans le monde. Mais avant tout, il souligne la force intérieure des femmes et leur capacité à changer le monde, en dépit des multiples difficultés auxquelles elles sont confrontées. 

Nous aurons la chance d’entendre  Anastasia Mikova  lors d’une conférence en visio le 17 mai prochain, de 12h à 13h. Elle nous y partagera l’expérience de son film Woman, la naissance de ce projet, pourquoi un tel film était nécessaire et ce que cette prise de parole féminine mondiale signifie pour le monde de demain. Elle racontera également de quelle façon elle a travaillé pour trouver ces milliers de femmes, de la fermière dans un petit village au Bangladesh jusqu’à la présidente de l’ONU Femmes. Elle expliquera comment et pourquoi ces milliers de femmes lui ont livré des choses jamais racontées avant.

Pour patienter jusqu'à sa conférence, Anastasia Mikova a accepté de répondre à quelques questions pour nous.

 

Comment est né ce projet et comment vous êtes-vous
retrouvée aux manettes de cette production ?

Cela fait plus de douze ans que nous travaillons ensemble avec Yann. Nous nous sommes rencontrés sur l’émission de  télévision Vu du ciel qu’il présentait et dont j’étais la rédactrice en chef, puis nous avons continué notre collaboration sur son film, Human, sorti en 2015. A l’époque, j’ai été frappée par quelque chose sur le terrain : la réaction très différente des femmes et des hommes en interview. Les hommes étaient fiers d’être filmés et se livraient facilement, ils étaient demandeurs et se porter volontaires pour participer aux interviews. Les femmes, au début, étaient assez méfiantes, elles hésitaient avant de se laisser filmer,  mais une fois qu’elles avaient accepté d’être devant la caméra, c’était comme si elles avaient  attendu ce moment toute leur vie, attendu qu’on leur donne la parole.  

On en a parlé avec Yann et ça nous a semblé évident que c’était le bon moment pour donner la parole aux femmes. Ce projet a démarré comme ça ! Cependant, Yann a très vite compris que seule une femme pouvait mener ces interviews. .

Quatre années sur un tel projet, ça n’est pas anodin. Qu’est-ce que cela a changé chez vous ?

Une prise de conscience de ma chance. Journaliste d’investigation de formation et ayant travaillé sur des sujets très durs comme le trafic d’organes ou les réseaux de prostitutions, je pensais connaître des réalités difficiles et ne pas être candide. Pour autant, à travers ces multiples témoignages, j’ai réalisé à quel point mon cas personnel était privilégié et relevait de l’exception. Avec des parents qui m’ont soutenu et encouragé, un mari qui s’occupe de tout ce qui est domestique et pour qui mon engagement professionnel intense n’a jamais été une question. Plus encore avec le fait que je travaille avec un homme, Yann, qui me respecte et me met en avant. Travailler sur ce film m’a montré à quel point les injustices sont toujours nombreuses et combien il est crucial qu’hommes et femmes s’affranchissent des stéréotypes de genre. Depuis que nous avons tourné le film, les gens viennent me voir pour me dire « votre film, c’est la meilleure thérapie de couple qu’on ait eu ». Au milieu des clivages et des divisions sur le sujet, nous créons un peu d’unité.

Une des intentions de départ était de voir ce qu’il y a d’universel à être une femme. On peine à croire au regard des différences culturelles et sociales qu’il puisse y avoir de l’universel ; verdict ?

J’entends tout à fait les réserves sur ce point, car c’est très compliqué de mettre des mots sur cette universalité. Chaque femme est unique, évidemment. Chaque parcours, chaque émotion, chaque vécu est unique. Les traditions, les langues, sont également différentes d’une femme à l’autre. Tout pouvait donc porter à croire que les femmes que nous allions écouter n’auraient pas de point commun. Et pourtant, en filmant, j’ai ressenti la sororité qui unit les femmes, ce lien invisible qui rassemble. Et je n’étais pas la seule ; toutes les journalistes femmes qui ont travaillé sur le projet ont ressenti la même chose. Et d’ailleurs, les femmes interviewées dans le film nous disent souvent qu’elles l’ont également ressenti. Il s’agit d’un effet miroir, le fait qu’elles se reconnaissent dans cette féminité universelle. Ce film célèbre les femmes sur cet oxymore inexplicable : nous sommes toutes uniques, tout en étant rassemblées par un sentiment universel d’appartenance.

Le propos est universel, certes, mais est-il singulier aux femmes ? Pourriez-vous imaginer de tourner Man et pourriez-vous mener les interviews vous-mêmes ou faudrait-il que ça soit Yann ?

On y réfléchit ! A titre personnel, j’aimerais beaucoup explorer la question qu’est-ce qu’un homme ? Je trouve que cette question n’a pas été beaucoup creusée : les hommes prennent certes beaucoup (trop ?) la parole en public. Cependant, ils s’interdisent souvent de parler de leur vie privée. Je crois d’ailleurs qu’il faudrait deux fois plus de temps en entretien pour réussir à faire parler un homme de sa vie intime ! Depuis l’enfance, on explique aux hommes qu’il ne faut pas parler de leur sentiment, ne pas se dévoiler, ne pas exposer leurs faiblesses. Ça serait fort d’explorer leur vulnérabilité. Je suis prête !


 

Anastasia Mikova

Anastasia Mikova est une journaliste et réalisatrice d’origine ukrainienne dont le travail s’est toujours orienté sur des questions sociales et humanistes.

Elle réalise plusieurs documentaires traitant de sujets comme l’immigration illégale, le trafic d’organes, ou les mères porteuses. En 2009 elle devient rédactrice en chef de la série documentaire « Vu du Ciel » sur France 2 qui marque le début de sa collaboration avec le photographe et réalisateur Yann Arthus-Bertrand. Au cours de ces sept dernières années, elle travaille avec lui sur le film documentaire HUMAN (sortie en Septembre 2015).

Une collaboration qui se poursuit puisqu’à présent elle vient de co-réaliser avec Yann Arthus-Bertrand leur nouveau film WOMAN qui donne la parole aux femmes du monde entier. Le film dont l’avant-première mondiale a eu lieu à la Mostra de Venise, est sorti en salles en France le 4 mars dernier et dans plus de quarante pays à travers le monde.

Florie Benhamou