L’égalité femmes/hommes : une chance pour les hommes ?

Les hommes constituant l’un des deux termes de l’égalité femmes-hommes, sans changement de leur part : pas d’égalité.
Oui, mais que changer justement ? Est-ce que l’égalité femmes-hommes se fera nécessairement à leur détriment ? Ou alors peuvent-ils vivre ce changement comme une émancipation ? Benedicte Fiquet, experte des enjeux égalité femmes-hommes a répondu à nos questions.

Oui ! Les études sur les masculinités mettent en valeur la violence des sociétés patriarcales qui consiste à apprendre aux garçons que pour devenir un homme, « un vrai », il faut mépriser, tuer le féminin en eux, brider leur sensibilité, nier leur vulnérabilité. De nombreux témoignages d’hommes confirment la pression sociale qui les ont poussés, adolescents, à adopter un comportement sexuel conquérant ou à défaut à s’inventer des prouesses sexuelles pour prouver leur virilité. Obtenir « les faveurs » d’une fille peut être moins un but en soi qu’une manière de s’élever dans la hiérarchie du groupe et surtout de lever tout soupçon d’homosexualité. Quant à l’homophobie, on connaît les dégâts qu’elle opère dans la vie des personnes homosexuelles ou supposées l’être. L’injonction à la virilité, le mot d’ordre « même pas peur, même pas mal » explique la sur-représentation des hommes dans les conduites à risques (violences, consommation d’alcool et de drogues, vitesse au volant etc.) donc leur sur-représentation parmi les personnes accidentées ou en prison. En 2021, 78% des mort∙es sur la route et 96,4% des détenu∙es étaient des hommes. Et même sans parler de conduites à risque extrêmes, on sait que les hommes ont tendance à tarder à consulter pour leur santé, ce qui peut s’avérer fatal. Les hommes pâtissent également de la division sexuée du travail. Certes en terme économique et d’accès aux postes à responsabilités, les inégalités se font au détriment des femmes, il n’y a pas à revenir là- dessus. Mais les pressions dues au rôle de « gagne-pain » et la culture du présentéisme affectent leur vie privée. Un père aurait aujourd’hui deux fois moins de chances qu’une mère d’obtenir l’autorisation d’un temps partiel.

Il y a les hommes qui assument pleinement (publiquement ou non) leur pouvoir de domination et ceux-là, je les vois mal s’engager pour l’égalité. Quant aux autres, beaucoup n’ont pas conscience que leur identité d’homme s’est construite sur ce pouvoir de domination. Pour résumer d’une manière caricaturale, les institutions, l’école, les médias, leurs paires et souvent leur famille n’ont cessé de leur répéter « être un homme », c’est être sur la plus haute marche du podium. Et c’est peut-être justement parce qu’ils n’en n’ont pas conscience, qu’accepter de descendre du podium - même si le podium en question n’est pas toujours bien haut - est vécu comme une menace pour eux. Or pour atteindre l’égalité, il faudra bien que les hommes descendent des podiums.

Par ailleurs, le fait que les inégalités entre les femmes et les hommes constituent le standard de notre système sociétal contribue à ce qu’ils (mais aussi beaucoup de femmes) ne « voient pas le problème ». Nicole Mosconi, une spécialiste éminente des questions de genre en éducation, décédée récemment, a réalisé de nombreuses observations en milieu scolaire, révélant que, quel que soit leur sexe, les professeur∙es donnaient davantage la parole aux garçons qu’aux filles. Mais le plus significatif de son étude est qu’elle a montré que les professeur∙es qui avaient tenté de redresser la barre, non seulement n’y parvenaient pas du premier coup, mais avaient l’impression ce faisant de privilégier les filles. Et les garçons se sentaient désavantagés. Ce qui prouve bien, concluait Nicole Mosconi, que la norme à l’école n’est pas l’égalité. Bref, malgré les chiffres qui restent têtus (voir les chiffres relatifs aux revenus, au partage des tâches domestiques, aux mandats politiques etc.), beaucoup d’hommes ne perçoivent tout simplement pas l’ampleur des inégalités et des violences qu’elles génèrent, parce que c’est la norme.

Toutes sortes de bénéfices : la liberté d’être à l’écoute de leur personnalité propre, la liberté d’aimer sans injonctions hétéronormées (ne pas avoir à faire les premiers pas mais se laisser séduire, aimer un homme, aimer une femme sans avoir à endosser le rôle de protecteur…), la possibilité d’accompagner au mieux leurs enfants pour ceux qui ont fait le choix d’en avoir. Une tranquillité d’esprit aussi : fini l’obligation de dire, de faire mieux que les femmes, fini de craindre les violences dont pourraient être victimes leurs filles et les femmes qui leur sont chères, fini de craindre pour leurs fils et leurs proches en rupture avec les codes de la virilité. Ils gagneraient donc à vivre dans un climat beaucoup plus apaisé, et pas seulement dans le domaine de l’intime. Il est avéré que plus les entreprises sont mixtes et égalitaires, plus elles sont performantes et offrent une bonne ambiance. Ne vaut-il pas la peine de renoncer à être au top de la hiérarchie pour obtenir en contrepartie une meilleure sécurité de l’emploi et le bien-être au travail ?

Enfin plus largement, si le recours à la domination et la force virile épargnaient la planète, il est fort à parier que les guerres se tariraient et que l’on progresserait bien davantage dans la lutte contre le dérèglement climatique. C’est l’apport de l’éco-féminisme d’avoir mis en évidence que l’exploitation de la planète, qui nous mène aujourd’hui à la catastrophe, découle des mêmes mécanismes que ceux de la domination patriarcale. Pour le dire vite, il y a urgence à ce que la terre puisse « re-disposer de son corps » et qu’elle cesse d’être asservie aux besoins (ou considérés comme tels) de l’espèce humaine. Cela profiterait aux hommes comme aux femmes.

Sans doute en cherchant à prendre la mesure des inégalités et en développant leur empathie : en questionnant les femmes sur les obstacles qu’elles rencontrent, sur leurs frustrations liées aux inégalités, leur rapport à l’espace publique... Ça peut mener à des changements d’attitudes très simples, mais qui font la différence, comme éviter de marcher derrière une femme la nuit et changer de trottoir pour ne pas la stresser par exemple. Il y a aussi des enjeux forts autour de la prise de parole : s’assurer qu’on ne la prend pas au détriment des femmes (ou de sa femme), qu’on ne la monopolise pas, dans l’intimité comme dans la vie publique. Ça peut passer par refuser de participer à des colloques, tables rondes ou émissions avec peu ou pas de femmes.  C’est important aussi de réagir au sexisme et à la misogynie, de refuser la complicité masculine grivoise.

Dans les couples hétérosexuels, le partage réel des tâches domestiques (des plus gratifiante comme faire la cuisine aux plus ingrates comme nettoyer les toilettes) et un investissement à part égal dans l’éducation des enfants sont primordiaux. Non seulement cela permet aux femmes de dégager du temps pour elles mais cela propose d’autres modèles masculins aux enfants. Et l’éducation, c’est la base ! Offrir une poupée à son fils, encourager les conduites audacieuses chez sa fille, protéger les jeunes de la pornographie… La liste des vigilances à avoir pour renverser des millénaires d’éducation patriarcale est longue.

Certains hommes ont également un pouvoir d’action déterminant du fait de leur fonction ou profession : les professeurs pour revenir au rôle éducatif, les policiers et magistrats dans un contexte d’agression sexuelle, les responsable RH pour l’égalité professionnelle, les journalistes pour le traitement de l’information… Là encore la liste est longue.

L’optimisme n’est pas nécessairement une posture rationnelle. C’est un état d’esprit qui prédispose à miser sur ce qui tire vers l’avant. Et j’ai plutôt cet état d’esprit. Alors bien sûr, dans ce contexte d’économie qui exacerbe les inégalités, le retour des conservatismes et des extrémismes religieux et politiques menacent lourdement ce qui est déjà acquis en terme d’égalité femmes-hommes (voir l’avortement aux Etats-Unis par exemple). Pour autant, il me semble que les lignes bougent aussi en direction opposée. De plus en plus d’hommes et de femmes, les jeunes en particulier, refusent le contrat social qui les assigne à tels ou tels rôles en raison de leur sexe. En s’attaquant de front aux violences sexistes et sexuelles et en déplaçant le curseur de l’intolérable, le mouvement #Me Too, a peut-être joué un formidable coup d’accélérateur dans l’ébranlement du partriarcat, car celui-ci « tient » en grande partie grâce ces violences justement. Des violences que la philosophe Elsa Dorlin qualifie de police du genre, « une police » qui remet à leur place les femmes et les homosexuel∙les. #Me Too a aussi eu un rôle très formateur d’accès sur les réseaux sociaux à une foultitude de concepts qui étaient jusqu’à présent réservés aux études de genre. Je suis sidérée de l’évidence avec laquelle les plus jeunes s’emparent des questions de gender fluidité, de non-binarité, de transition... Bien sûr, elles et ils n’y adhérent pas en bloc et de la même manière, certain∙es peuvent y être très réfractaires, mais en tous cas, ça fait partie des débats de leur génération.


 

Benedicte Fiquet

Après une carrière de journaliste consacrée en partie à la dénonciation des inégalités et des violences subies par les femmes, Bénédicte Fiquet a décidé d'agir plus directement sur le terrain. Aujourd'hui, elle intervient en tant que créatrice d'outils pédagogiques et formatrice auprès d'un public varié intéressé par la construction sociale des identités genrées et l'éducation égalitaire : parents, professionnel∙ les de la petite enfance et de l'éducation, travailleuses et travailleurs sociaux etc.

Florie Benhamou